Raoul et Gaston (Tim Tyler’s Luck) est une bande dessinée américaine créée dans les années 30 par Lyman Young. Publiée en France sous forme de récit complet puis en petit format par les éditions des Remparts, elle est également connu sous le titre Richard le Téméraire dans Donald et le journal de Mickey. Il s’y dégage une atmosphère africaine très marquée et c’est ce dont nous parlerons ici. Car l’Afrique (ainsi d’ailleurs que l’Extrême-Orient) a exercé une véritable fascination sur l’Américain des trente premières années du vingtième siècle. Cette Afrique lointaine, avec ses éléphants et ses lions, sa forêt vierge et ses mystérieuses tribus aux traditions ancestrales. C’est une Afrique fantasmée et quelque peu schématique que Lyman Young a mis en scène dans son œuvre, et l’on peut dire qu’elle est un élément principal du récit.
L' Afrique et sa faune
La faune africaine y est largement représentée. On y voit l’éléphant et le lion que suivent de près la panthère et le buffle, le rhinocéros, l’hippopotame et le crocodile auxquels se mêlent le chimpanzé et le gorille, les girafes, les antilopes et les zèbres.
Et au milieu de ce bestiaire, il y a Fang, la panthère noire de Raoul, superbe félin qu’un caprice de l’auteur a rendu « apprivoisable » alors qu’elle est réputée être l’un des fauves les plus féroces et les plus rebelles à tout contact avec l’homme. Combien d’adolescents ont rêvé, à l’image de Raoul, de se laisser emporter, cramponnés au dos du redoutable félin ? Lyman Young se montre un excellent animalier en même temps qu’il introduit un premier mythe, celui du fauve fidèle, poussant la chose plus loin encore et avec plus de bonheur que Lee Falk avec « Satan », le loup apprivoisé du Fantôme.
Ces animaux évoluent dans un décor africain puisque les rochers et les cavernes sont omniprésents dans de nombreux récits : Le roi de la jungle (1933), la Horde sauvage (1937), Retour à la patrouille de l’ivoire (1936), la forêt en flammes. L’épisode La flamme mystérieuse de la reine Loana se déroule même entièrement dans un lacis de galeries et de couloirs creusés à même le roc.
Y a-t-il un décor qui se prête mieux aux jeux d’ombres, aux embuscades et aux pièges que celui d’une caverne ou d’un entassement rocheux? Lyman Young en a joué en maître. Il faut dire que de 1930 à 1940, ce genre de décor s’était révélé indispensable dans les films d’aventure se déroulant en Afrique comme lieux propices aux embuscades, aux retraites ou aux emprisonnements en tous genres.
Il arrive que Raoul et Gaston passent de l’Afrique des savanes et des forêts à l’Afrique du désert, celle qui jouxte les confins méridionaux du Sahara et qui est hostile, tant par sa chaleur et son aridité que par les pillards qui la hantent. Elle permet à l’auteur de changer de décor, de passer de l’humidité à la sécheresse, de la luxuriance à la stérilité, d’y introduire d’autres groupes humains, les pirates et la Légion Etrangère, si prestigieuse en ces années trente et aux yeux des Américains.
Raoul et Gaston - L'armée et les chefs de tribus
L’habitat des personnages y est typique, pour ne pas dire stéréotypé : la « case » pour les villages aborigènes, le bungalow à véranda pour l’homme blanc, le fortin entouré de hautes palissades pour les militaires. Car Lyman Young, comme le fit Lee Falk, pour l’Asie, a créé un corps spécialisé chargé de faire régner l’ordre, la morale et la paix : la Patrouille de l’ivoire. Comme son homologue asiatique, la Patrouille de la Jungle, elle règne non sans peine ni périls sur une jungle troublée par des tribus insoumises et des trafiquants remuants.
Elle n’est d’ailleurs pas elle-même exempte d’agitation puisqu’elle voit naître en son sein des rivalités personnelles. C’est ainsi que l’on assiste à une lutte électorale entre deux officiers postulant aux fonctions de commandant. Il arrive aussi qu’il se glisse dans les rangs de cette « milice » un bandit qui profite de son poste d’autorité, de ses armes, de son ascendant moral et de la crédulité des aborigènes pour se mettre au service d’un pirate ou d’un mégalomane sans scrupules.
Il est difficile de dire si l’image des indigènes donnée par Lyman Young est conforme à la réalité de l’époque. Sans doute est-elle en grande partie constituée de clichés traditionnels mais elle est néanmoins frappante : l’africain est athlétique et emporté, redoutable par sa carrure et son aspect surtout lorsqu’il porte un masque grimaçant et effrayant. Les chefs portent souvent un haut-de-forme, ou une « tiare », comme celle qui faillit déclencher une guerre entre tribus (Mickey, 6e année). A ces chefs souvent arrogants s’opposent des soldats indigènes dévoués et courageux coiffés d’une haute chéchia; ils évoquent irrésistiblement les ex-tirailleurs sénégalais.
Enfin pour donner une touche finale à ce tableau, évoquons le mystère qui se dégage de cette l’Afrique de bandes dessinées. Burroughs, Foster et Hogarth n’ont pas hésité à y faire vivre dans leurs récits des descendants de Vikings, des Romains, des Egyptiens, des navigateurs chinois, et même des dinosaures. Lyman Young n’a pas failli à la tradition : On y voit donc des tribus mystérieuses, des sectes redoutables (hommes-léopards, tribus masquées), des rites effrayants.
Il existe aussi une dimension fantastique, car cette terre d’Afrique réputée pour sa magie (les sorciers qui interviennent dans «Richard le Téméraire») voit encore s’épanouir les sortilèges des Blancs comme c’est le cas dans « La Flamme mystérieuse de la reine Loana » et surtout dans « Le mystérieux Royaume du Passé ».
Notons l’importance des « princesses » blanches dirigeant d’étranges royaumes comme celui de Goobi-Gooba, des petits hommes de paille ou des chevaliers féodaux. Elles sont l’équivalent exact des héroïnes de cinéma de cette époque, elles en ont la beauté et tantôt les qualités, comme la princesse Mona aux yeux noirs, tantôt la cruauté, comme Loana ou Lorono, mais elles sont attachantes, féminines et fascinantes.
Avec elles, Lyman Young a su adoucir un monde féroce, celui de l’aventure exotique et des safaris organisés que la civilisation moderne a défloré mais qui gardait encore en ces années trente assez de secrets et de mystères pour en faire un mirage fascinant.
Edouard François