Il s’agit ici des bandes intitulées respectivement « Bronc Peeler » et « Red Ryder ». Malgré les différences qui existent entre elles, ce sont là deux westerns et probablement deux des plus authentiques produits par la bande dessinée. Tous deux se situent du côté du Colorado là où Fred Harman possédait lui-même un ranch. Ils ne se déroulent donc pas dans les vastes plaines de l’Ouest américain. Ce sont au contraire des westerns de vallées et de montagnes.
Bronc Peeler est un western moderne se passant vers 1932-33 comme en témoigne l’avion Northrop « Gamma » qu’emprunte le cow-boy. Dans ces conditions de temps, il était difficile de bâtir un western car on ne se canarde pas avec entrain aux Etats-Unis en 1930-35 comme on le faisait dans l’Ouest vers 1860. Il faudra donc expatrier le cow-boy dans un pays voisin, le Mexique, où bandits et despérados sévissent encore à cette époque. C’est donc dans ce pays que Bronc Peeler connaîtra ses aventures les plus palpitantes et ses ennemis les plus redoutables comme Carlos le Noir ou le fou à la mort rouge.
Et quand on voudra le faire rester aux Etats-Unis, il faudra exploiter la fiction des vallées perdues, des « vallées sans issue », lieux d’action intemporels où le modernisme n’aura pas de raison d’être. Le personnage, lui, est par contre bien typique du western, il est un solitaire, sans famille, sans liens affectifs, sans proches, il peut donc être un cavalier errant, et ce n’est pas son inséparable Coyotte Peter, à l’âme vagabonde en opposition avec un caractère casanier, qui l’en empêchera.
Autre trait typique du personnage de western, Bronc Peeler est une sorte de chevalier, un justicier. Cet aspect ramène son état de cow-boy au second plan. Dans le fond, Bronc Peeler est cow-boy par ses vêtements, son cheval, le décor qui l’entoure, l’atmosphère dans laquelle il baigne, mais nous ne le voyons jamais agir en tant que cow-boy banal, se livrer aux travaux ingrats inhérents à son état. Il est beaucoup plus un Hopelong Cassidy ou un Tom Mix qu’un vrai cow-boy. En bref, c’est un héros au coeur pur, courageux, loyal, dévoué, désintéressé, une sorte de chevalier de l’Ouest, mais aussi un exemple moral.
Il est un peu l’équivalent de Tintin (si l’on peut se permettre cette comparaison). Il est quelque peu boy-scout par l’esprit et cela cadre bien avec son aspect juvénile. A ce cow-boy-scout donc il fallait un repoussoir, un faire-valoir (comme Fantasio pour Spirou, comme Pancho pour Jerry Spring) un personnage plus haut en couleurs; ce fut l’inséparable ami Coyotte Peter affublé d’une ahurissante paire de grêles moustaches : courageux, fidèle, impulsif et surtout très naïf, Coyotte Peter est fondamentalement un paysan, il en a la naïveté, particulièrement vis-à-vis des personnes du beau sexe.
Les aventures de Bronc Peeler se déroulèrent souvent dans des vallées perdues, dans des lieux inconnus et inaccessibles et ceci ne va pas sans conférer une certaine atmosphère fantastique et mystérieuse à la bande. C’est particulièrement le cas dans l’épisode de la « vallée sans issue », qui se déroule dans un paysage de roches aux formes fantastiques, de falaises vertigineuses, de stalactites et de stalagmites, non sans évoquer le parc de Yellowstone que les Indiens considéraient comme un lieu hanté par les Esprits et que l’Indien Shanko, guide de Bronc Peeler, considère également comme un lieu maudit.
Les constantes du western présentes dans cette bande résident dabord dans le décor : ranches et villes typiques. Encore que ces dernières, si elles sont en bois, ne sont plus les villes-champignons de la conquête de l’Ouest mais des villes établies. Outre le décor, le folklore : bandits joueurs, aigrefins, escrocs, shérifs. %ais la loi existe et elle règne, nous ne sommes plus en 1850. Et le shérif vous arrête pour une peccadille, Coyotte Peter en fera la triste expérience lorsque, n’ayant plus d’argent, il doit s’enfuir de l’hôtel dont il ne peut payer la note; il finira dans la géôle du comté. Le succès de Bronc Peeler fut très maigre auprès du public américain.
C’est pourquoi Fred Harman pris la décision de passer en 1938 de Bronc Peeler à Red Ryder en retrouvant, par un recul d’une cinquantaine d’années, une atmosphère plus propice au western.
Ceci nous amène à parler du style de Fred Harman. Dans Bronc Peeler, il est très nerveux, il est fait de hachures assez succinctes, il est surtout orienté vers le mouvement. L’impression générale est celle d’un certain déchaînement. Cela se calmera un peu avec le temps, la nervosité se tempérera en même temps que le trait deviendra plus épais, les masses plus solides, le décor plus fouillé, les dessins plus achevés.
Il est très difficile de fixer les dates de parution de Bronc Peeler car, à cette époque, Fred Harman était son propre distributeur. Même le copyright, lorsqu’il existe, n’est pas suffisant. On peut, en gros, fixer de 1933 à 1938.
En France, Bronc Peeler apparut pour la première fois dans le périodique Aventures en février 1938, il Y resta environ un an avant de passer à Jumbo sous le titre de « Cow-boy Héroïque », il y restera jusqu’à ce que les événements mettent en juin 1940 un terme à sa parution. Remarquons que l’ordre de parution des épisodes en France n’a rien à voir avec l’ordre chronologique réel. Les aventures furent reprises dans les fascicules type « Appel de la Jungle » et, après la guerre, en particulier au début 1948, dans la collection « Aventures et Mystères« .
Red Ryder est comme une continuation de ce Bronc Peeler dont il ne paraît être qu’une image plus adulte. Alors que Bronc Peeler était très jeune, Red Ryder est un adulte au visage buriné, au comportement moins jeune que celui de son prédécesseur. Surtout, ce qui importe est qu’on a replacé ses aventures à une époque où le western peut s’épanouir librement, vers 1880-90, époque où les guerres indiennes sont terminées et où le Far West vit son folklore particulier dans un certain état de stabilité.
Red Ryder est très souvent accompagné dans ses aventures par un jeune indien : « Petit Castor » (Little beaver).
S’il est aussi un justicier à l’image de Bronc Peeler, Red Ryder se différencie de lui au moins par deux aspects : tout d’abord il est réellement cow-boy et nombreuses sont les séquences où on le trouve en train de se livrer aux occupations variées d’un rancher.
Ensuite, et c’est là un trait bien particulier du personnage et bien rare sinon même unique dans la tradition du western, il a des problèmes d’argent et l’on peut même dire que l’argent occupe une place considérable dans sa vie et dans la bande. Il n’est question que de primes, de revenus, de ventes, de bénéfices, et Red Ryder ne montre pas dans ce domaine le désintéressement de son prédécesseur. Bien souvent la capture d’un bandit se solde pour lui par une prime. Pour autant, il n’est pas un chasseur de prime.
Ces deux traits, ranch et argent, sont les deux premiers éléments du réalisme qui caractérise cette bande et c’est en cela que réside l’aspect essentiel de ce western. Un fort réalisme se manifeste aussi dans les décors : maisons et ranches sont peints sans indulgence : barrières de bois brisées et non réparées, granges bancales, cela fait très vrai.
Ajoutons comme autre touche de réalisme ce qu’on pourrait appeler le caractère « humain » du personnage de Red Ryder concrétisé par sa vulnérabilité car il n’est pas un super-héros. il est un homme qui peut tomber malade, être blessé et dont les maladies et les blessures surtout ne guérissent pas en deux images successives : une jambe cassée l’immobilise longuement. Blessé ou malade il lui faut un médecin et, même s’il est robuste, il ne jouit pas de l’endurance incroyable du Fantôme.
Quant au graphisme de la bande, il a gardé toute sa nervosité tout en devenant plus précis, plus soigné et plus tempéré.
Pour conclure, donc, nous avons avec ces deux bandes, affaire à deux westerns bien caractérisés, ayant chacun une personnalité propre bien marquée : le premier est moderne par l’époque, traditionnel par le personnage, le second est traditionnel par le folklore et le cadre, moderne par le personnage, tous deux étant réalistes, le second au point d’en être
presque documentaire.
Avant-guerre, aux Etats-Unis, bande quotidienne et planche hebdomadaire indépendantes l’une de l’autre (deux histoires différentes), après guerre, histoire continue, bande quotidienne – planche hebdomadaire (comme « Dick Tracy »).
Apparu en novembre 1938, continua vers 1960 un certain temps sous le crayon de Baie McLeod, continuateur de Fred Harman.
En France, dans Junior (« Cavalier Rouge ») : planches hebdomadaires couleurs du n°147 (janvier 1939) au n°219 (juin 1940); parallèlement, avec un décalage de deux jours (phénonème unique en Europe), en Belgique dans Spirou de janvier 1939 au 9 mai 1940, mêmes aventures.
Dans l’Aventureux « le Roi du Far West » de juillet 1939 à mai 1942 avec, aux deux tiers des épisodes, un fort tripotage par Brantonne.
Après-guerre dans Tarzan « Aventures du Petit Castor » du n°39 au n°86 (juin 1947 à mai 1948). Dans la collection « belles Aventures » aux éditions Mondiales.
Coq-Hardi (« Red Ryder ») du n° 166 mai 1949 au 87 (nouvelle série, juillet 1952)
Aux Etats-Unis paraît aussi un « Red Ryder Comics » (comic book) qui, du n°1 au n°45, est de Fred Harman.
Auteur : Edouard François