Dans les années cinquante et soixante, Les petits formats BD où apparurent des héros comme Blek le Roc, Kit Carson ou Akim firent les délices de très nombreux adolescents. Le «petit format» fut longtemps l’objet de mépris de la part de la critique spécialisée, qui voulut ignorer ce phénomène de lecture populaire, passant à côté d’un des aspects les plus mythiques de la bande dessinée.
Présentation des Petits Formats
Ces petits fascicules sont en principe de format 13 x 18 cm mais peuvent se réduire au 10,5 x 15, comme les premiers Nevada, ou s’élargir jusqu’au 21 x 28. Contrairement aux «récits complets» qui ne comportaient en principe qu’une seule histoire, les petits formats présentent une série principale et une ou plusieurs séries complémentaires. Plusieurs éditeurs se sont spécialisés dans ce type de publication : Lug, Aventures et Voyages, Impéria, Artima, S.A.G.É., S.F.P.I., les Remparts, Jeunesse et Vacances, Édi-Europe, les Éditions Mondiales, pour ne citer que les principaux.
Originellement, les petits formats italiens se présentaient sous forme de fascicules hebdomadaires de 32 pages au format allongé 8 x 17 cm, appelés là-bas des strisce (pluriel de striscîa, que l’on pourrait traduire par « bande»). Chaque héros possédait sa propre collection, ce qui évitait les récits complémentaires, comme en France. Ainsi sont passées en strisce les versions originales de Blek, Miki, Akim, Tex, Zagor, Hondo, etc.
En France la formule strisce n ‘a jamais réussi à s’implanter malgré quelques tentatives vers 1948, comme Texas Boy ou Tom Clay. En 1958, les Remparts publièrent trois titres sous cette forme : Marcellino, Aigle Noir et Indian Bill, mais en vinrent rapidement au classique 13 x 18 cm : ce fut le dernier essai français de BD en strisce.
Nous nous proposons de rappeler ici les caractéristiques majeures de cette presse enfantine, éliminant le petit format dit «pour adultes», qui mérite une étude distincte.
AVANT LES PETITS FORMATS : Les récits complets de la Libération
A la Libération, toute une génération d’adolescents se voit proposer, de manière anarchique, une multitude de bandes dessinées sous forme de récits complets. De format à l’italienne le plus souvent, ils étaient constitués de quelques pages, 8 ou 12 en règle générale, à cause des restrictions de papier, la première faisant office de couverture. Chaque récit complet était consacré à un héros récurrent.
Les grands éditeurs : La S.E.R., MON JOURNAL ET IMPERIA
Le plus fameux des récits complets, pour ce qui concerne la BD française, fut Fantax, créé en 1945 par le scénariste Marcel Navarro et le dessinateur Pierre Mouchot, qui allaient peu après fortement contribuer à la naissance et à l’essor du petit format.
En effet, Navarro est à l’origine des Éditions Lug (1950), tandis que Mouchot va animer la S.E.R. jusqu’en 1960, date à laquelle il sera contraint, sous la pression de la censure, de liquider ses entreprises.
Autres mémorables récits complets, Brik et Yak, sous le pinceau de Jean Cézard et la plume, à nouveau, de Marcel Navarro, étaient une production Mon Journal. La directrice, Bernadette Ratier, conservera ce sigle sur les couvertures de tous les pockets qu’elle publiera de 1955 à 1991. Elle reprendra même Brik sous forme de petit format en 1958. Enfin des titres comme Tom’X et Garry, sous la houlette de Robert Bagage, étaient les annonciateurs de toute la gamme des petits formats Imperia, inaugurée dès 1949 par Super Boy.
Les trois mousquetaires du pocket étaient donc bien quatre : Marcel Navarro, Pierre Môuchot, Robert Bagage et Bernadette Ratier. Et, sans conteste, le petit format est une création lyonnaise, même si le premier du genre, chronologiquement, Caméra 34, fut édité par les Éditions Vaillant, à Paris.
A la vogue du récit complet donc, entre 1945 et 1950, succède celle des Petits Formats qui allaient déferler dans les kiosques pendant quarante ans! Le papier ne faisant plus défaut, ces « nouveaux récits complets » s’épaississent (68 pages, qui passent ensuite à 100, 132, voire 200 pages), tandis que le format diminue, ainsi que le prix.
Ils ne renferment plus un héros unique, car ils sont tenus de posséder au moins une série complémentaire, ainsi qu’un pourcentage précisément défini de texte, condition pour l’obtention de l’agrément de la Commission paritaire. Cette réglementation propre à la France va constituer un handicap de tous les instants pour les éditeurs, contraints de compléter leur bande principale.
LES DEBUTS DU POCKET
La première publication de BD en format 13×18 cm, présentée comme supplément au journal Vaillant, naît le 15 avril 1949 sous le titre de 34, qui se transformera vite en Caméra 34. Six mois plus tard, Super Boy est publié à Lyon sous le label Imperia. A partir de là, le mouvement est lancé et ce sont les éditeurs lyonnais Imperia et Lug, qui vont faire du pocket une véritable industrie. Aventures et Voyages, d’abord implanté à Lyon, gagne la capitale et va y constituer un pôle très dynamique dès 1955.
En 1958, quatorze maisons d’édition différentes occupent le créneau. Et dans les années soixante, les kiosques regorgent de petits fascicules avec des récits de western surtout, mais aussi d’aventure, de guerre, de chevalerie et de science-fiction. A une époque où il existe peu d’albums cartonnés, le pocket prolifère et touche un maximum de lecteurs. On peut dire que la période faste du petit format s’étendra de 1955 à 1965.
LE CONTENU DES PETITS FORMATS
LE MATERIEL
Le contenu des pockets peut être la simple traduction d’une série étrangère. L’Italie en est le principal fournisseur, l’Angleterre venant en deuxième position. Mais on trouve aussi dans les petits formats des bandes espagnoles, américaines, hollandaises, argentines ou yougoslaves.
Il peut s’agir également de la suite française d’une série étrangère. Quand Akim s’arrête en Italie en 1969, ses auteurs, ses créateurs Roberîo Renzi et Augusto Pedrazza poursuivent les exploits du personnage pour le marché français. Blek, disparu depuis longtemps des kiosques italiens, continue de paraître en France, réalisé directement pour les Éditions Lug. Les westerns anglais Buck John, Kit Carson, Tex-Tone ont été prolongés pour Imperia par des dessinateurs français et espagnols.
Les petits formats contiennent aussi, et bien évidemment, des créations inédites. Par exemple, le mémorable Petit Duc a été exécuté spécialement pour Lug par le dessinateur Antonio De Vita, sur une idée de base de Marcel Navarro. Aux Éditions Aventures et Voyages, Marco Polo et Ivanhoé étaient écrits pas Jean Ollivier et confiés à des dessinateurs italiens.
Pierre Dupuis fit les beaux jours de son éditeur Jean Chapelle grâce aux nombreux personnages qu’il créa pour la S.F.P.I., à l’actif de Raphaël Marcello, une passionnante série-fleuve : Le Cavalier inconnu. Francis Bergèse affûta ses premières armes dans le petit format (avec Jacques Renne) dans Zorro avant d’aborder le cartonné (avec Buck Danny).
D’autres dessinateurs français étaient habitués des petits formats : Jean Cézard (Kiwi, Le Professeur Pipe). Mais aussi Roland Garel (Galax, Les 4 As), Joseph Garcia (Kocis, Puma Noir), Francis Josse (Lancelot), René Bastard (Perceval), Félix Molinari (Garry, Super Boy), Rémy Bourlès, Jacques Arbeau, René Brantonne. Eugène Gire, Jacques Devaux, Claude Bordet et Robert Leguay. Sans oublier toute l’écurie Chapelle avec André Oulié, Jean Pape, Marcel Radenen, Maxime Roubinet. Ainsi que l’atelier Lug avec Rémy Bordelet, Yves Mondet, Jean-Yves Mitton, Ciro Tota.
LES ILLUSTRATEURS
Certains grands noms de la BD internationale apparurent dans les formats de poche. La première publication de Hugo Pratt en France eut lieu dans Kwaï n°1 en février 1959. Frazetta, Blasco, Breccia, Jacovitti, Buzzelli, Cézard, Bottaro.
Mais certains dessinateurs moins connus ne manquaient toutefois pas de talent. Raphaele Paparella, l’inoubliable créateur de Pécos Bill, Sergio Tarquinio, Antonio De Vita, Rinaldo d’Ami, Giorgio Rebuffi. Sans oublier l’école anglaise des années cinquante avec Ron Turner, Geoff Campion, Bill Lacey, Reg Bunn, Mike Western, Joe Colquhoun.
L’ART DES COUVERTURES
Produit populaire avant tout, destiné à être vite perçu dans les kiosques, le petit format, comme son prédécesseur le récit complet, se devait de captiver le regard par sa couverture (dessin et logo), exactement comme une affiche réussie peut inciter à aller voir un film. Presque chaque maison d’édition de pockets possédait ses artistes attitrés pour les couvertures, véritables spécialistes de ce genre et souvent différents des auteurs des bandes dessinées à l’intérieur.
Chez Imperia, la patte du peintre Rino Ferrari, célèbre pour ses immenses dessins-catastrophes de la une de Radar, s’imposa rapidement à la devanture des librairies. L’Espagnol Vilajoana et les Anglais anonymes de la Fleetway ont réalisé eux aussi des petites merveilles. Et la concurrence louchait avec envie sur les superbes couvertures Imperia.
Lug utilisa au début l’excellent Jean Cézard, puis des couvertures italiennes de Dardo ou Bonelli. Celles de D’Ami, Galleppini, Uberti, Ferri sont des réussites. Une mention spéciale à Antonio Canale, dessinateur d’Amok, qui contribua au succès du mensuel Kiwi. Entre 1965 et 1967, Floriano Bozzi composa quelques belles gouaches pour l’éditeur lyonnais. Plus tard, Mitton et Frisano devinrent des fournisseurs prolifiques.
Le peintre Alessandro Biffignandi, futur auteur des meilleures couvertures per adulti, qui campa avec talent Thierry la Fronde, Josh Randall, Les Hommes volants dans les télé-séries.
CENSURE ET AUTOCENSURE
Il est à la fois instructif et amusant de comparer les BD étrangères avec leur traduction en petit format. La pression de la censure était telle dans les années 1950-1970 que les éditeurs en vinrent rapidement à pratiquer une censure préventive systématique. En voici quelques effets, parfois abracadabrants, tous empruntés à la production Lug, cible semble-t-il privilégiée (mais pas unique) de la censure.
Suppression de certaines cases jugées trop violentes : Ainsi, le ranger Tex Willer tue beaucoup moins de hors-la-loi dans la version française que dans l’original italien. Cinq morts en vingt vignettes peuvent se réduire à deux blessés en cinq vignettes. Des cases disparaissent ou sont remplacées par des publicités du genre «Lisez Pipo».
Gouachage des armes : Miki le Ranger a souvent le poing en avant, alors que son holster est vide et qu’en face des bandits tombent. Parfois, lors de rééditions ultérieures, les armes réapparaissent par magie. C’est ainsi que sur la couverture de Plutos n° 22 (juin 1958), le personnage central, entouré d’Indiens, les montre du doigt. Lors de la réédition dans Spécial Kiwi n° 57 (décembre 1973), le colt est restitué et la scène devient plus plausible. Les couteaux ont subi le même sort, remplacés par des pierres dans certains Blek.
Cases redessinées : bien que réalisée directement pour la France par l’Italien Antonio De Vita, la magnifique saga de Petit Duc dans Kiwi a souffert de l’autocensure que les Éditions Lug pratiquèrent par l’intermédiaire de leur dessinateur-retoucheur Roger Médina. Celui-ci redessina quelques cases et notamment celle de la planche 25 de Kiwi n° 61, où Petit Duc assomme un Indien alors qu’en réalité il devait lui tirer dessus. Et cela n’est rien à côté des planches entières carrément jetées dans la corbeille et que nous ne connaîtrons jamais.
— Suppression complète de l’histoire : le vingt-septième épisode de Tex Willer, intitulé La Croix tragique, n’est jamais paru en France. Certainement parce qu’il mettait en scène une bande de cagoulards. Le même type de mésaventure est survenu à Sergent York. L’épisode Les Cavaliers du démon a été omis en 1955 dans Pampa. Par contre, à l’occasion d’une réédition en 1973, Ombrax l’a restitué.
Autre exemple, la couverture de Rodéo n° 412, qui devait reproduire celle du Tex italien n° 225 où Tex découvrait un cadavre réduit à l’état de squelette dans le désert, a dû être entièrement redessinée à cause du crâne.
LA FIN DES PETITS FORMATS
A la fin des années soixante, les ventes se ralentissent. Premières à réagir, les Éditions Artima se restructurent totalement et visent un public plus adulte par l’intermédiaire de leur collection Comics pocket.
Lug crée un nouveau marché, celui des super-héros américains, avec Strange et Marvel. Mais le phénomène est général et les années quatre-vingt sonnent le glas du petit format. En février 1980, la Société Française de Presse Illustrée (S.F.P.I.), dirigée par Jean Chapelle, dépose son bilan. Puis c’est au tour des éditions du Domino, des Éditions Gréantori et enfin des éditions de la Page blanche qui subsistent jusqu’en mars 1986.
En août 1980, les Éditions des Remparts publient le dernier numéro du Fantôme et quittent discrètement la scène. Les pockets Jeunesse et Vacances cessent en août 1981. La directrice publie encore quelques albums à colorier puis met la clé sous la porte en juin 1982. En juin 1986, la vénérable maison Imperia stoppe tous ses titres à l’exception du seul Crampon, qui survivra un an.
Dès la fin de l’année 1987, Aredit (ex-Artima) cesse toute activité bandes dessinées. La S.A.G.É. est mise en liquidation le 8 octobre 1987.
En février 1985, les Éditions Aventures et Voyages de Bernadette Ratier ont été rachetées par Christian Chalmin. Et entre 1986 et 1988, seize titres ont été éliminés. Finalement, les trois derniers. Akim, Swing, et En Piste!, furent prolongés jusqu’en février 1991. Quant aux éditions LUG, passés sous contrôle du groupe Semic en janvier 1989, ont survécu tant bien que mal jusqu’en 2003.
Auteur : Gérard Thomassian